Ayahuasca

December 15, 2023

Je restais silencieux à l’arrière de la voiture, à regarder la jungle défiler tel un bovin sous sédatif. Cela faisait bien 20 minutes que l’on avait quitté la route principale à Puerto Morales, à rouler à deux à l’heure parce que la route était, comment dire, inexistante. Notre chauffeuse fini par nous demander de continuer à pied car la route devient vraiment hardcore.

Je ne me rendais pas bien compte dans quoi je m’étais embarqué, je savais juste que j’étais déterminé, probablement un peu inconscient aussi. Cela faisait plusieurs mois que la douleur et la peine causées par mon divorce me rongeaient. Je n’étais que l’ombre de moi-même, jusqu’à ce fameux après-midi quelques mois plus tôt où, vautré sur mon canapé à scroller sur Reddit, ce commentaire avait capturé mon attention “Just go attend an Ayahuasca ceremony”.

Des mots hors de mon champ lexical avaient commencé à apparaître dans ma barre de recherche Google: spiritualité, healing ceremony, shaman, ego dissolution, et encore d’autres. Mon esprit rigide ne comprend pas ces termes, mais je vais tellement mal que j’ajoute mécaniquement un nouvel item à la liste des choses à faire pour aller mieux. Et ça commence à s’empiler: marcher 45min au réveil, faire des pompes et des tractions sur mon balcon tous les matins, me nourrir correctement, utiliser une crème de jour le jour, et une crème de nuit la nuit. Mais ça n’allait pas vraiment mieux, j’avais juste moins le sentiment d’être une merde. J’étais toujours en grande souffrance.

Je me retrouvais donc quelques mois plus tard au Mexique, hebergé chez Alban à Playa Del Carmen, avec une cérémonie ayahuasca à 200$ dans mon agenda. Tout est flou, je ne sais pas exactement où je vais, je mange des fruits depuis une semaine comme recommandé par le shaman, mais surtout je n’ai aucune idée de ce qu’il va m’arriver. Par chance j’avais été mis en contact avec d’autres francophones qui allaient également assister à la cérémonie et nous avions décidé d’y aller ensembles. L’un a un cancer et cette cérémonie est son dernier espoir. Un couple de jeunes hippies en sarouel semble accoutumé des cérémonies, je ne sais pas vraiment ce qu’il vont y faire mais ils ont l’air dérangés aussi.

Nous arrivons finalement dans un espèce de micro-village au milieu de la jungle. Une cahute de fortune abrite les toilettes, et une autre, plus grande, abritera la cérémonie. Elle est circulaire avec un toit conique en palme séchée, avec en son centre un âtre creusé dans le sol en terre. À l’opposé de l’entrée se trouve la place du shaman et de sa femme, je vous jure on se croirait dans la maison d’un chef gaulois au centre du village. Tout autour de l’âtre se trouvent des couchettes, une vingtaine environ, de telle sorte que chaque personne puisque s’allonger avec la tête au pied des murs, les pieds dirigés vers le feu.

Je ne sais plus vraiment ce que j’ai fait de l’après-midi, mais j’ai vu les gens arriver jusqu’à ce que la nuit tombe. Je n’avais pas mon téléphone mais je dirais que vers environ 20h, nous étions tous allongés sur nos couchettes, le feu avait été allumé et le shaman a commencé à nous ranconter l’histoire de l’ayahuasca en espagnol. Le mec du jeune couple de hippies faisait la traduction en anglais. Il nous explique que l’ayahuasca est un breuvage à base de plantes, mais ils l’appellent la plante. Il nous dit que la plante est une entité à part entière, que nous allons nous soumettre à elle ce soir. Je crois qu’à ce moment je n’écoutais pas vraiment mais je m’étais surtout imaginé que j’allais être sacrément défoncé.

Les introductions faites, le shaman s’est mis à appeler les gens un à un afin qu’il leur serve le breuvage. Il fait presque nuit noire, je suis au Mexique, au milieu d’une jungle tropicale, je suis malheureux, je ne parle pas un mot d’espagnol, et je m’apprête à avaler une boisson servie par un shaman pour soigner tous mes maux. Le pitch est incroyable mais plus mon tour approche, plus je stresse.

C’est maintenant mon tour, la femme du shaman arrive vers moi et me demande de venir, je me lève et me dirige timidement vers lui. Lorsque j’avais témoigné mon intérêt pour assister à une cérémonie via WhatsApp plusieurs mois auparavant, on m’avait demandé si j’avais déjà utilisé des psychédéliques, ce à quoi j’avais répondu que j’étais un consommateur régulier de THC et que j’avais récemment découvert le LSD. Le shaman est très sérieux et me redemande dans un anglais rudimentaire comment se sont passées mes prises de LSD, notamment si j’avais perdu le contrôle. Je lui répond que non, mais il me dit qu’il va m’offrir une portion un peu réduite, et que je pourrais me reservir au cours de la cérémonie. Le gobelet qu’il me tend laisse apparaître un breuvage rougâtre qui ne m’attire pas des masses, mais c’est un instinct de survie qui m’a emmené à être à cet endroit précis, à ce moment précis. Je bois le contenu du gobelet d’une traite et je retourne m’assoir.

Le goût est vraiment très spécial, très amer, j’ai la gorge qui brûle un peu. Buckle up baby, daddy is about to take you on a ride.